Cabinets de curiosités, chambres savantes, Kunstkammern princières, puis musées — et souvent de l’un à l’autre (Pomian, 2020-2022), comme le Musée zoologique de Strasbourg qui forme le sujet de plusieurs travaux de Vincent Chevillon —, les collections d’histoire naturelle sont les amalgames d’œuvres de collectes éclatées et méconnues. Depuis le siècle de Linné, elles sont aussi les sommes de visions aveuglantes que Mary Louise Pratt a, avec les Imperial Eyes, identifiées dans les récits des voyageurs-naturalistes, qui ne donnent à lire, des interactions complexes entre humains, animaux, environnements, qu’une vision amputée, seulement concentrée sur les fins thésaurisantes des métropoles (1992). Cette étreinte du monde par le déracinement, l’épuisement organique, la monstration, l’inventaire, et l’ordre, est un dessèchement que les colorations pâlies des dioramas peineront à revivifier.
Mais les figurations des collections dans les travaux de Vincent Chevillon contrastent avec les appauvrissements sensibles en vitrines. Les morts, désacralisés par leur apparition entre les objets du quotidien qui anime les coulisses des musées, y retrouvent, en négatif, un statut de reliques dans des lieux désormais presque temples d’un culte qui prend la mesure d’une œuvre de destruction des vivants à laquelle la constitution des collections a elle-même participé. Exhumés des tiroirs, bandelettés de plastique, jetés hors des séries, les animaux montrent des collections en train de se (dé)faire. Des portraits de morts, ou de parts de morts, ravis à l’indistinction des accumulats, amènent des ouvertures biographiques par-delà la désincarnation des os blanchis et téguments sans viscères. Le rengagement de ces figures dans des assemblages-archipels, qui sont comme un jeu indocile avec « la vie sociale des choses » (Appadurai, 1986), ré-innervent les collections de leurs réseaux perdus. Ces appariements, et des irruptions ailleurs, là où les animaux vivent mais leur présence échappe, rouvrent les collections d’histoire naturelle à cette « étrangeté [que] nous ne […] percevons plus » (Pomian, 2020: 9). Ainsi guides heuristiques, les travaux de Vincent Chevillon ouvrent sur les mécaniques et les détours de la commodification naturaliste des vivants, sur leurs sédimentations historiques autant que sur les contingences passées, présentes.