« Je me cherche » (21), déclame le chœur théâtral en ouverture de la pièce Centre d’achats (2019) d’Emmanuelle Jimenez. Dans la suite de la tirade, la forme apparemment réflexive se dote, grâce à la syntaxe orale, d’une longue série de compléments d’objet directs : « Un T-Shirt pis des shorts / […] Une tunique style bohème / […] Des ’tites boules remplies d’huile de bain » (21-22). À mesure qu’elle s’énonce, l’énumération gagne en polysémie : « Une vanité en Arborite, en mélamine / Une dignité en stainless » (22). Ceci a pour effet de renvoyer malgré tout à l’idée d’une quête personnelle, ou spirituelle. L’objectif de la démarche transparaît, presque en filigrane, de cette accumulation de futilité : le « je » choral désire « Un labyrinthe pour se perdre dedans / […] De la compagnie » (22).
Le dossier « Imaginaires du tout-inclus et autres lieux d’enclavement volontaire », dirigé par Olivier Parenteau, permet de mieux comprendre un tel phénomène : la prise en charge consumériste ou récréative de l’individu, du centre commercial au Club Med, est paradoxalement vendue comme un moyen de redevenir soi-même, de retrouver son essence ou son identité. Sont ainsi abordés divers cas de figure : parcs d’attractions, croisières tropicales, communautés fermées, plateaux de téléréalité. Ces lieux sont moins envisagés en tant que tels qu’au travers de leurs représentations, documentaires ou fictionnelles. Cette médiation par la prose ou l’image a généralement pour effet de révéler la contrainte qui demeure sous l’impression de liberté, l’épreuve que peut souvent constituer une promiscuité imposée. L’analogie avec la prison ou le camp de concentration apparaît ainsi comme un cas de figure récurrent.
L’étude de la représentation de lieux eux-mêmes irréels ou illusoires ouvre en outre à la question plus vaste de la part croissante de virtualité, pour ne pas dire de « fake », qui colonise la supposée réalité contemporaine. Dans cette perspective, le parc à thème ou le jeu télévisé, conçus d’abord pour fuir le quotidien, peuvent être compris comme un reflet — voire une prolongation — à la fois sublime et grotesque de celui-ci. Le dossier se clôt par un texte de création de Cassie Bérard, qui illustre par l’exemple en quoi l’imaginaire du tout-inclus s’avère un matériau de choix pour la fiction. La section de contrepoints « Enclaves », dirigée par Elaine Després, relance la réflexion sur les productions télévisuelles et ouvre aux domaines du jeu vidéo, de l’installation artistique et du séminaire universitaire.
La signature visuelle du numéro est composée de photogrammes tirés du film documentaire Some Kind of Heaven (2020), de Lance Oppenheim. On y découvre la communauté de retraite The Villages, en Floride : un « Disney World for retirees » (13 min 08 s), comme le précise le fondateur. Les images retenues mettent bien en évidence l’artifice de l’endroit et les efforts des résidents pour être à la hauteur de ce décor. La thématique du « parcage » trouve une mise en contraste dans un article hors dossier de Valérie Savard, consacré aux actions du collectif artistique Général Instin : les lieux publics, forcément structurés par leurs modes de fonctionnement et leurs règles, se prêtent aussi à la réappropriation et au détournement, fussent-ils éphémères.
Comme l’ont souligné certains des contributeurs, ce numéro a été conçu alors que les autorités de santé publique prescrivaient des mesures de confinement, c’est-à-dire un enclavement involontaire. La dimension dystopique du retrait du monde dans les œuvres commentées n’en apparaissait que plus inquiétante. L’équipe de Captures n’a pourtant rien perdu de sa bonne humeur et de son efficacité. Je remercie vivement Fanny Bieth, de même qu’Elaine Després et Émilie Bauduin, pour tout le travail accompli.
Sylvain David
Directeur