Loading...
Section sous la responsabilité de
Jean-Philippe Uzel

Les toponymes du territoire renvoient à une multitude de temporalités et de savoirs. Le site de Montréal, nommé Tiohtià:ke par les Haudenosaunee, signifie « Là où les gens se séparent », tandis que Montréal est un toponyme dérivé de « Mont-Royal », appelé ainsi par Jacques Cartier, qui a également maintenu qu’un village appelé Hochelaga s’y trouvait à son arrivée. Un des monuments qui cimente cette hypothèse fait l’objet de l’exposition Hochelaga Rock1 de Hannah Claus, artiste visuelle de descendance kanien’kehà:ka (mohawk) et anglophone, originaire de Tyendinaga.

À partir du monument Hochelaga Rock, installé en 1925 sur le campus de l’Université McGill en hommage à Jacques Cartier ainsi qu’aux Iroquoiens disparus de Hochelaga, Hannah Claus entreprend de fragmenter l’histoire coloniale et de remettre en question l'hypothèse de « disparition » du village d’Hochelaga. Sur la plaque, on trouve l’inscription bilingue suivante :

Près d’ici était le site de la ville fortifiée d’Hochelaga visitée par Jacques Cartier en 1535, abandonnée avant 1600. Elle renfermait cinquante grandes maisons logeant chacune plusieurs familles vivant de la culture du sol et de la pêche.

L’artiste creuse des trous de mémoire dans la roche d’Hochelaga pour y planter des récits qui lui ont été relatés par des détenteurs de savoirs autochtones. Cette enquête, retraçant des formes d’histoires situées dans différents territoires, amène Claus à faire la démonstration visuelle que l’histoire, telle que conçue dans la pensée occidentale et symbolisée par la Hochelaga Rock, n’est solide que dans son apparence. Pour Claus, les roches représentent, comme des ancêtres, la mémoire du territoire, et constituent les témoins de la fluidité avec laquelle les êtres se déplacent d’un lieu à l’autre. En apposant sur le monument des impressions numériques de trous qui évoquent des trous de balle, Claus mine la version officielle de l’histoire en la faisant traverser de récits autochtones alternatifs.

Grâce à des recherches auprès d’aînés, Claus a recueilli un éventail de récits liés au nom « Hochelaga ». Billy Two Rivers, de Kahnawa:ke, insiste sur le fait que le mot Hochelaga n’existe pas en langue kanien’kéha et que Cartier a sûrement entendu « Osheaga », qui signifie « la personne qui secoue les mains », en référence peut-être à la façon de saluer des Européens ou encore à la maladie du scorbut dont les Européens étaient atteints en masse. Lors d’un voyage, Claus a rencontré un aîné déné des plaines de l’Ouest qui lui a expliqué que le nom pour Montréal en langue na-déné est effectivement « Hochelaga » et que plusieurs voyageurs dénés se rendaient en territoire haudenosaunee pour y commercer et y vivre pendant quelques années. Se pourrait-il que Cartier ait entendu le mot prononcé par un de ces voyageurs? Enfin, Claus reprend le texte de la plaque et le remplace par une cosmologie du territoire propre aux Kanien’kehà:ka en nommant Montréal « Otsirà:kéhne », ce qui se traduit par « auprès du feu », en référence aux feux installés autour de Tiohtià:ke, où les voyageurs étaient accueillis par des scouts à leur arrivée en territoire kanien’kehà:ka2. Tous ces récits, qui transpercent le discours colonial de la roche d’Hochelaga, attestent des relations millénaires non coloniales entre différents peuples en lien avec le territoire, et ils contribuent, par leur pluralité, au désagrègement de la fixité dans l'appréhension de l’espace et du temps.

  • 1. L’exposition Hochelaga Rock a été présentée à la galerie Articule à Montréal du 21 octobre au 19 novembre 2017.
  • 2. Les éléments relevés ici sont repris de l’événement « Discussion avec Hannah Claus », tenu à la galerie Articule le 4 novembre 2017.
Pour citer

CHAGNON, Karina. 2018. « Trous de mémoire. Hochelaga Rock », Captures, vol. 3, no 1 (mai), section contrepoints « La notion d’“autochtonie” ». En ligne : revuecaptures.org/node/1306