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Compte rendu de AUDET, René et Nicolas XANTHOS (dir). 2019. Ce que le personnage contemporain dit à la critique. Paris : Presses Sorbonne Nouvelle, 213 p. €19.50, ISBN : 978-2-37906-015-1.

René Audet et Nicolas Xanthos, Ce que le personnage contemporain dit à la critique (2019)  
Livre paru aux Presses Sorbonne Nouvelle, 2019  
Photographie de Manuel Pena sur la couverture | 1890 x 2835 px  

James Ewing, Installation view, Julian Rosefeldt, Manifesto, Park Avenue Armory, New York, December 2016-January 2017 (2016)  

Photographie d'une exposition d'art au Park Avenue Armory  
Photographie numérique | 2000 x 1333 px  

Cristiano Mangovo, Alternativo (2019)  

De la série « This Is Not A White Cube »  
Peinture acrylique sur toile | 160 x 180 cm  
Image numérique | 428 x 368 px  

Issu d’un colloque international intitulé « Qui je suis — la question ne vaut plus la peine d’être posée. Elle est, disons, caduque », qui a eu lieu en juin 2016 à l’Université Laval en collaboration avec le CRILCQ (Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoise) et Figura (Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire), le collectif Ce que le personnage contemporain dit à la critique a été codirigé par René Audet et Nicolas Xanthos. Publié dans la collection « Fiction/Non Fiction XXI » des Presses Sorbonne Nouvelle en mars 2019, cet ouvrage actualise habilement le concept de personnage. Partant d’une volonté d’historicisation des théories sur les liens entre le personnage et la construction du récit romanesque, notamment celles formaliste et structuraliste — Propp, Greimas, Hamon — (Audet: 8), ainsi que leur mise à mal par le mouvement du nouveau roman (voir les articles d’Audet et de Wagner), cet ouvrage se donne comme objectif de faire ressortir, à partir d’études pluridisciplinaires — littérature, cinéma, jeu vidéo —, sur un large éventail d’œuvres — françaises, québécoises, anglo-saxonnes et suédoises —, les changements des « conceptions de l’être, de la société, des affects, du désir, de l’intériorité, etc. » (Audet: 10) dans les corpus du XXIe siècle. 

Les articles rassemblés dans la première partie de ce collectif problématisent la centralité accordée au personnage, tant dans les romans que dans l’étude littéraire, et par extension remettent en question le dispositif narratif-type qui en découle, c’est-à-dire la mise en scène d’événements selon une linéarité directionnelle avec une finalité (Audet: 19). Les auteurs soulignent que cette manière d’expliquer, par le récit, les liens de causalité entre les actions des personnages et leurs états psychologiques (Xanthos: 66) repose sur une définition presque exclusive du personnage et du roman autour de l’action (Xanthos: 71), en même temps qu’ils offrent des analyses détaillées de textes qui, étant principalement axés sur la psychologie de personnages, modifient la structure narrative, refusent le romanesque (Voyer: 76). Cette section fait appel à certains développements théoriques plus récents comme la narratologie cognitive, qui adapte des concepts de la science cognitive à l’analyse littéraire (Collington: 33-36). 

La deuxième section du collectif est axée sur le processus d’autoréflexivité développé par les artistes sur leur démarche créative. En caractérisant la dynamique exploratoire de textes qui agencent plusieurs genres — fiction documentaire, roman historique, fiction critique, autofiction (articles de Bouju et de Gervais) — ou d’œuvres narratives non textuelles qui misent sur la dimension ludique d’une interactivité entre la production et la réception pour rendre labiles les frontières entre le fictionnel et le non fictionnel (articles de Beauparlant et de Barnabé, Delbouille et Dozo), les analyses font transparaître le travail d’interprétation des réalités nouvelles et mouvantes déployé par les productions artistiques.

Les articles rassemblés dans la troisième partie de l’ouvrage portent sur le présupposé de l’identité psychologique unitaire, cohérente, essentielle et totalisante du personnage. Alors que les deux premiers chapitres insistent sur la tendance des œuvres contemporaines à fonder l’identité des personnages sur leur contradiction, leur discontinuité (Pluvinet: 146) ou leur cassure (Blanckeman: 152), les deux derniers chapitres se concentrent sur l’effacement de la distinction entre l’intériorité et l’extériorité psychique opérée par des œuvres qui d’une part établissent une continuité entre les affects non humains (animaux) et les affects humains (Parent: 160) et d’autre part interrogent la définition même de l’humanité (par-delà la déconstruction des genres) en faisant se côtoyer des consciences humaines et des consciences cyborgs (Beaulieu: 181-182). 

TMRW (The Mixed Reality Workshop) et Eden Labs, Mary Sibande – « A Cresendo of Ecstasy » (2018)  

Vidéo publicitaire d'une installation virtuelle exposée au Keyes Art Mile (Johannesburg) en juin et juillet 2018 | 2 minutes 36 secondes  
©TMRW, disponible en ligne

Nous attribuons un objet d’étude spécifique par section de ce collectif, puisque c’est l’élément majoritairement traité par les articles qui y sont assemblés, cependant la structure narrative, le rapport entre la forme et la réception, ainsi que l’identité du personnage sont abordés avec beaucoup de souplesse par chacun des chapitres. Cette transversalité, annoncée dès l’introduction, donne toutefois lieu à un entrelacement d’études épistémologiques ou théoriques, d’observations tirées d’une analyse d’ensemble sur plusieurs œuvres, de même qu’à des lectures rapprochées, ce qui pose parfois problème à la cohésion globale de l’ouvrage. Malgré cela, les articles offrent un outil de compréhension stimulant sur un corpus contemporain varié, dont les ressources bibliographiques sont ciblées et pertinentes.

Pour citer

GIGUÈRE, Sara. 2019. « Il n'était pas une fois... l'impersonnage », Captures, hors série (18 juin). En ligne : http://www.revuecaptures.org/node/3669