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Date(s) de l'événement : 11 janvier au 17 février 2018

Essai vidéographique présenté au Centre d’art Dazibao, Montréal
Résidence de production-diffusion Prim-Dazibao
Maryse Goudreau, Mise au monde

Maryse Goudreau, œil de béluga dans Mise au monde (2017)  
Capture vidéo tirée de Mise au monde, essai vidéographique de 23 min présenté à Dazibao, Montréal, du 11 janvier au 17 février 2018  
Image numérique | 2000 x 1391 px  
Résidence de production-diffusion PRIM-Dazibao  
©Maryse Goudreau  
Maryse Goudreau, dorsale de béluga dans Mise au monde (2017)  
Capture vidéo tirée de Mise au monde, essai vidéographique de 23 min présenté à Dazibao, Montréal, du 11 janvier au 17 février 2018  
Image numérique | 2000 x 1128 px  
Résidence de production-diffusion PRIM-Dazibao  
©Maryse Goudreau  

Mise au monde, la première exposition de Maryse Goudreau en sol montréalais, avait lieu au centre d’art Dazibao du 11 janvier au 17 février 2018. Plus précisément, il s’agissait d’une œuvre vidéographique présentée dans la petite salle de projection et résultant de la résidence de production-diffusion Prim-Dazibao. Jeune artiste à la reconnaissance déjà bien établie, Maryse Goudreau détient une maitrise en arts de l’Université Concordia, où elle a développé une pratique centrée sur le médium photographique. Elle utilise des images d’archives auxquelles elle adjoint des images, fixes ou en mouvement, qu’elle produit. Elle réalise également des projets d’art participatif pour sa communauté. Originaire de Gaspésie, elle puise la matière première de sa recherche artistique (élargie aux champs de l’écologie, de la sociologie, de l’ethnologie et de la politique) à même sa région natale, où elle vit actuellement. À travers sa démarche, elle « cherche à affranchir les images de leurs relations statiques à une histoire officielle » ([s.a.], 2018). Elle est la première récipiendaire du prix Lynne-Cohen (2017).

Maryse Goudreau, béluga échoué dans Mise au monde (2017)  
Vue d’exposition, Dazibao, Montréal, du 11 janvier au 17 février 2018  
Photographie | 3000 x 2000 px  
Photo par Marilou Crispin  
Résidence de production-diffusion PRIM-Dazibao  
©Maryse Goudreau  

Depuis 2012, Maryse Goudreau s’attèle à déployer une archive thématique de l’histoire sociale du béluga où elle met en relation des données de natures multiples. Elle a notamment présenté Beluga studies à la Galerie Leonard & Bina Ellen (2015), une reconstitution de la tentative d’éradication des bélugas par le gouvernement du Québec dans les années 20. Quant à Mise au monde, il s’agit d’un essai-vidéo construit à partir d’archives télévisuelles, de reconstitutions et de vidéos collectées au cours de résidences en Russie et à Anticosti, ainsi que sur différents lieux de passage du béluga. Cette « archive-œuvre » (Goudreau citée par [s.a.], 2018) est un premier montage dont les séquences seront régulièrement remixées, prévient l’artiste. L’idée de « pouponnière de béluga », introduite par les écologistes protégeant le site de naissance de Cacouna (menacé par un projet pétrolier), sert de prémisse à l’artiste, qui s’est donné comme mission de proposer une « image mentale » de ce lieu (Goudreau citée par [s.a.], 2018). Le projet s’amorce par la réalisation d’une dorsale de béluga en marbre placée dans une camionnette, dans l’optique de faire vivre le déplacement de l’animal comme il s’en faisait au siècle dernier. Le montage vidéo se veut non linéaire, les temporalités et les lieux sont divers et fragmentés, nous sommes tour à tour dans le sauvetage, le transport, la captivité, l’évasion, la mort et la naissance du mammifère.

Maryse Goudreau, évasion dans Mise au monde (2017)  
Vue d’exposition, Dazibao, Montréal, du 11 janvier au 17 février 2018  
Photographie | 3000 x 2000 px  
Photo par Marilou Crispin  
Résidence de production-diffusion PRIM-Dazibao  
©Maryse Goudreau  

Les premières images sont celles d’un béluga juvénile coincé dans un cours d’eau et autour duquel va s’organiser un sauvetage. S’ensuit le voyage du marbre auquel se mêle le déplacement réel d’un animal en Russie, filmé sans autorisation par l’artiste. Sorti d’une camionnette, le béluga de pierre est déposé dans une maison; deux mains placées sur ses flancs de manière solennelle semblent souligner l’importance de veiller sur ce « monument » et de le chérir. Un jeune spécimen mort, échoué sur une plage, est ensuite mis en terre par l’artiste, puis l’on voit des mains féminines toucher les os d’un fœtus de cachalot. Un parc aquatique russe exhibe un animal captif et contraint à faire des acrobaties pour divertir le public. Un homme russe affecté au transport de bélugas en captivité raconte alors l’histoire d’évasions multiples de deux bélugas domestiqués en 1993 : il évoque leur périple à travers les mers et les enclos, et leur fin tragique, l’un échoué à bout de forces et l’autre tué par des pécheurs. L’homme explique que, malgré le fait que la Russie soit le premier exportateur mondial de l’animal, elle ne compte encore aucune naissance en captivité; il ajoute que, pour avoir réussi cela, il admire le Marineland des chutes du Niagara… L’essai-vidéo se termine sur ce paradoxe, et montre trois corps de cétacés reprenant leur souffle à la surface.

Maryse Goudreau, rayon des souvenirs dans Mise au monde (2017)  
Vue d’exposition, Dazibao, Montréal, du 11 janvier au 17 février 2018  
Photographie | 3000 x 2000 px  
Photo par Marilou Crispin  
Résidence de production-diffusion PRIM | Dazibao  
©Maryse Goudreau  

Dans cette œuvre-archive, il est essentiellement question de déplacement, qu’il soit lié à la capture, au voyage initiatique de l’artiste ou aux périples des marsouins. Il est aussi question de mort, dans la mesure où l’animal est tué par l’homme, par la pollution ou par sa mise en cage — quasi mort. L’ambition de l’artiste de produire « une image mentale de pouponnière » ne semble pas complètement résolue. Ce qui fait image serait plutôt le cycle de vie du béluga aujourd’hui. Puisque la pouponnière apparaît comme une prémisse de création, il est permis d’envisager le titre Mise au monde comme une référence à la naissance de cet essai-vidéo, plutôt qu’à celle du marsouin.

Un des intérêts majeurs de cette œuvre-archive réside dans la monstration de la situation dans laquelle se trouve l’animal : chassée pour sa graisse depuis des centaines d’années, puis pour sa peau, tuée pour avoir mangé les poissons des pêcheurs, capturée pour des parcs aquatiques et enfin menacée par les compagnies pétrolières, l’espèce est aujourd’hui en voie de disparition et la situation écologique de l’un de ses habitats naturels, le fleuve Saint-Laurent, est alarmante. L’approche hybride de l’artiste, alliant images d’archive et vidéos tournées in situ, permet au regardeur de voyager dans le temps et dans l’espace, à travers différents points de vue présents dans les captations. La reconstitution du déplacement du béluga et le montage vidéo apportent cette relecture pertinente en regard d’aujourd’hui, avec les contradictions et les changements qu’ils révèlent. Divers matériaux filmiques, vidéographiques et sonores sont juxtaposés dans la séquence. La superposition de différentes narrations génère un flou quant à l’origine des données présentées et finit par créer une histoire globale où le doute ferait partie intégrante de la construction d’un récit, quel qu’il soit.

Tout compte fait, la puissance de cette œuvre réside également dans sa filiation assumée avec le cinéma direct de Pierre Perrault, Michel Brault et Marcel Carrière : Pour la suite du monde. Dans ce film marquant des années 60, les réalisateurs avaient demandé aux habitants de « rejouer » la pêche aux marsouins pour les besoins du documentaire. De manière semblable, Maryse Goudreau réactive, par le truchement d’une sculpture de marbre, le déplacement du cétacé. Son archive-œuvre récupère également le fini granuleux du film noir et blanc, de même que cette façon sensible et poétique de capter l’image des corps blancs soyeux et sculpturaux évoluant gracieusement dans l’eau.

Ainsi, la volonté de relire les archives pour les mettre en perspective et constituer une documentation pour les générations futures constitue une noble entreprise de préservation de la mémoire autant que des espèces vivantes. Il nous tarde de voir la suite.

Pour citer

PAINNECÉ, Aurélie. 2018. « Espèce menacée. Relire l’histoire, revoir l’avenir », Captures, hors série (1er juillet). En ligne : www.revuecaptures.org/node/1692